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AFRIQUE CENTRALE – FRANCE : L’heure de vérité pour la coopération militaire

Date de publication : janvier 8, 2025
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Soixante ans d’indépendance nominale des pays de l’espace francophone ont été consommés sans anicroche. Les nations africaines, tout au long de cette période faste, ont bénéficié de l’assistance militaire de la France, laquelle assistance a été voulue par elles-mêmes dans le cadre des accords de coopération inhérents à la succession d’Etats. Les dits accords toujours en vigueur ont entre autres assuré la protection des chefs d’Etats de ces nations contre « les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur de la République.» Ils concernent plusieurs domaines notamment la monnaie, l’éducation, la formation, la santé, l’aide budgétaire. L’adage populaire n’énonce-t-il pas que l’aide doit permettre de se passer de l’aide ?

 

La France l’a compris bien avant ses partenaires africains. Un cadre normal d’évolution. L’eau a coulé sous les ponts depuis 1960. La France elle-même a initié l’évolution de ces accords. En 1991 n’a-t-elle pas décidé de la cessation de l’aide budgétaire directe aux 14 Etats de son giron géopolitique. Dans cette même veine, la France a réorienté l’aspect de la mise en œuvre de l’accord de coopération dans les domaines sociaux matérialisés par le retrait de l’assistance technique en matière de santé et d’éducation. La présence des médecins français et des enseignants dans les hôpitaux, les écoles et collèges d’enseignement africains n’est plus qu’un lointain souvenir. Les bourses d’études pour les formations dans les universités et grandes écoles françaises se sont raréfiées d’autant.

 

Cette réforme a été étendue au secteur militaire.

 

Les centres de formation militaire jadis concentrés en France ont été transférés en Afrique tant pour la formation des jeunes officiers que pour les diverses formations d’application aux différentes armes, cours de capitaine, états –major, et les hautes études interarmes. Certaines nations africaines ont été invitées à créer des structures de formation idoine avec l’aide indispensable de la France. Il en va ainsi du Togo, du Cameroun, de la Côte d’ivoire, du Maroc, du Mali, du Burkina Faso, du Sénégal, du Gabon etc.

 

Retour sur la vérité de la coopération militaire française en Afrique

 

On se souviendra que tant de régimes africains ont été sécurisés par l’armée française. Un grand nombre ont eu leur pouvoir et la vie sauve de leur dirigeant grâce à des interventions musclées des troupes françaises tel Léon Mba au Gabon, évincé lors d’un putsch et rétabli quarante-huit heures plus tard par l’armée française déployée par Jacques Foccart, le gardien du temple. Il en va de même d’Idriss Deby Itno, sérieusement menacé par les rebelles du FUC ayant fait une percée à N’Djamena sous la conduite des frères Erdimi, alors qu’une autre fois, la colonne rebelle en route pour la capitale tchadienne fut bombardée par l’aviation française dans le désert. Qui d’autres que les troupes françaises ont écrasé en Côte d’Ivoire dans les années 1970 plus de quatre mille partisans du Parti national africain dirigé par Kragbé Gnagbé, fondateur de l’éphémère République d’Eburnie. Au Cameroun, le régime du Président Ahmadou Ahidjo a dû son salut à l’appel fait aux troupes françaises qui ont massacré la rébellion de l’Union des peuples du Cameroun (UPC) sous le lead des, Félix Moumié, Um Nyobe, Osendé Afana et autres. La France a recouru à la bombe à Napalm pour venir à bout de la détermination des partisans de l’UPC. Au Tchad, le Président Tombalbaye a eu recours à l’armée française qui a combattu violemment dans le Tibesti, de 1965 à 1979, les troupes du Frolinat dirigé par le leader charismatique Abba Siddick. Le Commandant Français Pierre Galopin envoyé en négociation pour la libération des trois otages civils français sera capturé et exécuté par les troupes des rebelles du Conseil de commandement des Forces armées nationales. En 1983-1984 lors du conflit Tchado-libyen, la France a décidé de l’ opérations Manta, suivie de l’opération Epervier en 1986, au cours desquelles elle a perdu des centaines d’hommes au bénéfice de la protection de l’intégrité du territoire tchadien. En Mauritanie, l’opération « Lamentin » (octobre 1977-1980) a été engagée par l’armée française contre le front Polisario hostile au régime de Nouakchott. Ce sont encore les forces françaises qui ont été déployées pour sauver le régime de François Bozizé en stoppant l’avancée des colonnes rebelles de la CPJP. Les bérets verts français ont été aussi activés en Centrafrique en 1997 pour réduire la force des mutins centrafricains sur le point de renverser le Président Ange Patassé. Ces mêmes forces ont été appelées par le gouvernement centrafricain débordé par la rébellion de la Séléka en 2016. Le détachement français ayant perdu bien des hommes pendant cette opération. Plusieurs bases militaires ont été constituées par la France pendant la colonisation bien avant la création des armées nationales africaines.

 

Pourquoi la France a dû restructurer et redéployer ses bases militaires

 

La France a estimé que les ressources du contribuable français ne pouvant indéfiniment servir la cause du maintien des bases militaires françaises dispersées sur plusieurs pays, elle a initié la restructuration et le redéploiement de sa présence en quelques pôles stratégiques. Un exemple est celui de la RCA. En 1996, l’armée française a quitté la base militaire française de Bouar créée en 1950 pouvant accueillir plus de 2000 hommes. Vingt ans plus tard, la force Sangaris a délaissé la Centrafrique au grand désespoir des pouvoirs publics centrafricains. Seules restaient opérationnelles à la demande des Etats, les bases du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et de Djibouti ainsi que les missions opérationnelles des forces françaises dans le périmètre des pays du Sahel en proie aux menaces djihadistes. Une nouvelle donne politique, Bokassa a été évincé du pouvoir en Centrafrique en 1979 par des forces françaises lors de l’opération Barracuda, à la demande du Premier ministre centrafricain suite à l’assassinat des élèves et lycéens. De même Laurent Gbagbo, mal élu Président de la République de Côte d’Ivoire face au Général-président Guéi, a réussi par d’odieux subterfuges à conserver illégalement le pouvoir cinq ans au-delà de la durée normale de son mandat en se réservant d’organiser les élections. Sous la pression, il s’était exécuté astucieusement tout en s’obstinant à opérer un hold up électoral au moment où il a été battu à la régulière par son adversaire Alassane Ouattara. Cet horrible opprobre a occasionné un affrontement meurtrier ayant mis à mal l’économie ivoirienne à laquelle participent de nombreuses entreprises françaises et occidentales telles Bolloré, Total, Air France, Bouygues, Renault, Peugeot, Citroën, Orange Télécom, Volvo, Mercedes, etc. Aussi l’usurpateur a-t-il été « vitrifié » par l’armée française, selon les propos, dit-on, de l’ancien président Sarkozy. Quel mal y a-t-il à contribuer à ramener la paix et sauver la vie des citoyens ivoiriens menacés de péril par l’affrontement entre les factions Gbagbo et Ouattara?

 

Les discours souverainistes et l’arrivée de la Russie

 

L’arrivée du partenaire « commercial » russe sur la scène politique africaine a induit une tonalité nouvelle à l’harmonie des relations avec la France tout comme les Etats-Unis, le plus grand donateur humanitaire à l’Afrique et à l’Afrique subsaharienne à l’échelle mondiale. Des discours souverainistes ont résonné subitement au Niger, au Sénégal et au Tchad ces derniers mois comme si les dirigeants de ces pays se sont réveillés soudain d’un long et profond sommeil. Ce sont des accusations de collusion des forces françaises et américaines avec les forces terroristes et djihadistes suivies de déclarations d’abolition des accords de défense avec la France ainsi que les Etats-Unis d’Amérique qui ont alimenté les médias tous azimuts. Le refus catégorique du putschiste du Niger de recevoir en audience la ministre américaine dépêchée à Niamey est symptomatique de l’état d’esprit qui a prévalu. Alors que le jeune leader charismatique tchadien n’en pensait pas moins, il l’exprime de manière courtoise en termes de contribuer à « permettre à la France de regagner sa dignité. » En clair, un désidérata comme celui de la décision de changement de cap en matière de coopération militaire et de défense qui d’ailleurs est propre à une relation dynamique entre deux nations souveraines ne saurait être envisagé que dans un contexte d’entente partagée vu l’interdépendance des nations et leurs relations conjuguées dans le monde actuel. Il en va ainsi du président ivoirien Alassane Ouattara qui souligne dans son discours à la nation du 31 décembre 2024 qu’il a décidé du retrait concerté et organisé des troupes françaises en Côte d’Ivoire. A l’inverse, la posture tapageuse actuelle des Etats dont les dirigeants s’ouvrent à la rupture unilatérale des accords de défense laisse penser à une relation crisogène avec la France. Des avis sont unanimes pour attester que ces sorties belliqueuses visent à calmer les ardeurs intéressées d’une clientèle politique à la solde des nouveaux partenaires russes forts de leurs puissants instruments de propagande malveillante vis-à-vis de la France. Mais certains s’interrogent quant à savoir la nécessité de lâcher la proie pour l’ombre, car après tout chaque oiseau a son chant et sa mélodie. Il a été constaté que dans les situations de conflit, la Russie accourt pour proposer ses armes et louer ses supplétifs, véritables usines à morts, ruinant ainsi des économies fragiles et exsangues et extorquant d’importants volumes de richesses minières et sylvestres.

 

Les limites de la coopération avec la Russie

 

Jamais elle n’intervient pour proposer sa médiation afin de sauver des vies humaines. Peu de choix est laissé aux nations africaines menacées du fait que leurs armées sont de parade, notoirement faibles, juste aptes à réprimer les manifestations populaires internes. Les effectifs résiduels des forces françaises se sont retirés de ces pays tout en cédant leurs bases aux nations initiatrices de ces retraits qui les ont acceptées paradoxalement. Toutefois, elles demeurent confrontées aux menaces des troupes djihadistes et à boko haram qu’ils ne peuvent contenir en raison de leur indigence matérielle, stratégique et tactique. Sauront-ils assumer leurs engagements hâtifs et démagogiques ? Le doute est permis.

 

Motivations financières, sécuritaires et démagogiques des ruptures fracassantes.

 

Il n’échappe à personne que le commerce avec l’Afrique ne représente que 5% des échanges de la France. Cependant la France est le second investisseur en Afrique après le Royaume Uni. Les principaux partenaires de la France ne sont ni le Tchad ni les Etats de l’AES, ni le Sénégal mais le Nigéria, les pays du Maghreb arabe, et l’Afrique du Sud. Aucun pays de l’UEMOA n’est un acteur clé dans le domaine des importations des ressources stratégiques, particulièrement le gaz naturel, le pétrole, le cobalt, la platine, les matériaux critiques. Seuls l’Algérie, le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Congo Démocratique sont concernés. Par contre les pays de l’Afrique francophone sont souvent soutenus à bout de bras par la France de façon multiforme. Ainsi en est-il du programme d’aide publique au développement (APD) et aussi indirectement à travers l’Union Européenne, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale.

 

L’aide française et la philosophie qui la sous-tend

 

L’aide française s’entendait une nécessité pour entrainer les investissements publics et privés. Elle visait surtout à favoriser le financement des appareils d’Etats et des entreprises publiques afin de créer un capitalisme d’Etat permettant de sortir du capitalisme colonial. On sait que les 19 pays prioritaires de la politique d’aide publique au développement de la France ont bénéficié depuis 2021 d’environ 1 milliard d’euros d’APD française : le premier bénéficiaire est le Sénégal (177 millions d’euros), suivi du Mali (107 millions d’euros), du Burkina Faso (92,4 millions d’euros) Par ailleurs, l’examen de la santé financière de la quasi-totalité des Etats du Sahel permet de relever que ces Etats sont surendettés. Ils ont été ajustés et vivent sous perfusion. « Cet endettement reflète la dépendance envers les financements extérieurs pour soutenir leurs économies, souvent fragilisées par l’insécurité et les défis de gouvernance ». Les trois pays membre de l’AES cumulent ensemble une dette de 1,4 milliards de dollars américains selon des sources autorisées. En fait, le Niger est le plus endetté, avec 37% de la dette globale, puis vient le Mali tandis que le Burkina occupe le troisième rang. La dette publique du Tchad, s’élevait à partir de 2022 à 5 616 millions de dollars. En raison de sa trajectoire haussière, le FMI a affirmé que la dette du Tchad n’était plus soutenable en raison notamment du poids du service de la dette sur les recettes du pays. Cette non soutenabilité de la dette tchadienne l’a amené à faire partie des premiers pays à bénéficier du cadre commun sur la dette des pays pauvres. Cette intervention ainsi que la reprise de la croissance lui ont épargné le surendettement, cependant sa situation demeure préoccupante. Les milliards de Francs émiratis offerts au Maréchal de pacotille Kaka Deby en vue de son soutien à la rébellion soudanaise du Général Hemeti, épaulée par les mercenaires russes lui ont commandé de tourner violemment le dos à la France, Ce soutien immoral de Kaka Deby vaillamment contesté par la France son allié historique ne saurait qu’exposer le Tchad à des sanctions internationales dont les effets pervers pénaliseront la vie du peuple tchadien innocent.

 

Une réduction drastique de la présence des troupes françaises à l’extérieur

 

La France dispose jusqu’au 31 janvier 2024 de six (5) bases militaires permanentes des forces armées dans le monde implantées en dehors du territoire de la France métropolitaine dont deux en Allemagne et aux Émirats arabes unis, et quatre en Afrique à savoir Djibouti, Côte d’Ivoire, Sénégal et Gabon. Avec la nouvelle donne, il reste la base de Djibouti et celle prépositionnée du Gabon avec ses trois cent cinquante hommes. Fonctionnellement, l’armée française procède à des déploiements opérationnels entrant dans quatre catégories distinctes : déploiement en France métropolitaine, forces prépositionnées de souveraineté stationnées en France d’Outre-Mer et au Moyen -Orient et les opérations extérieures dits OPEX. Généralement, ils se répartissent entre deux ou trois opérations principales mobilisant chacun entre 1000 et 5000 hommes jusqu’à une vingtaine d’opérations le plus souvent dans le cadre de l’ONU ou de l’UE auxquelles sont affectés des effectifs limités.

 

Les opérations extérieures dites OPEX

 

Entre 2002-2007, la France a déployé en Côte d’Ivoire l’opération Licorne avec plus de 4 000 hommes. A partir de 2011, elle a procédé à la décroissance des effectifs de l’opération Licorne mais a engagé l’opération EUFOR pour le Tchad/Rca, et l’opération Harmattan en Libye. En réponse à la dégradation de la situation au Mali, l’opération Serval a été lancée en 2013 avec des moyens importants mobilisant plus de 3000 hommes. Barkhane lui a succédé avec en tout 8000 hommes au Sahel. En somme, en ce début de 21ème siècle, les opérations extérieures de la France sont comptabilisées en terme d’ Afghanistan 2002-2010, Kossovo 2002-2011, Côte d’ivoire 2015-2020, Liban 2010-2020, Mali 2015-2020, Rca 2015, Irak et Syrie 2015-2020 ainsi que les opérations sous commandement France seule, Union Européenne, Otan, Onu durant les années 2010. Sous commandement des Nations Unies, la France a réduit sa participation limitée à une vingtaine de militaires (Minusma) au Mali, une dizaine (Minusca) en Rca. Sous commandement de l’Union européenne, elle participe à la plupart des opérations ne mobilisant que des effectifs réduits.

 

L’effet de la propagande russe

 

Le besoin de légitimité des putschistes peu scrupuleux du Sahel, de l’affreux mégalomane Kaka Deby, tout autant que des loufoques dirigeants sénégalais arrivés accidentellement au pouvoir, ce besoin- assurément- les incite à initier des actes démagogiques susceptibles, croient –ils, de leur attirer la sympathie et susciter la confiance de leurs obligés. Ces lascars politiques ont choisi comme cible la France qui, paradoxalement, est leur mère nourricière. Mais l’influence traumatisante de la propagande létale de Moscou n’est pas étrangère à ces postures politiquement maladroites.

 

La place de la France d’aujourd’hui n’est pas celle au temps de Louis XIV ou de Napoléon

 

Il est vrai que la France n’occupe plus la place qui était la sienne au temps de Louis XIV ou de Napoléon. Est révolu aussi le temps où la France était la première puissance européenne au sein de continent qui dominait le monde. Seulement, en comparant à d’autres périodes de l’histoire, la France reste un pays qui compte à l’échelle internationale. Elle figure parmi la demi-douzaine de pays crédités de puissances mondiales parce qu’elles peuvent s’exprimer sur une gamme étendue de sujets. Elle possède le 6ème PNB mondial, est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, est membre fondateur de l’Union Européenne, fait partie du G8, du G20 et de l’OMC, possède l’arme nucléaire, et son territoire s’étend de l’Europe aux Caraïbes en passant par l’Océanie. La France témoigne d’une richesse culturelle exceptionnelle et compte des noms illustres dans de nombreux domaines en plus de véhiculer des valeurs universelles qui font sa réputation sur la scène internationale.

 

La mode des rupture des accords de coopération militaire

 

L’annonce tonitruante de la rupture des accords de coopération militaire par les pays de l’AES ainsi que le Tchad évoque en réalité une déclaration d’expulsion forcenée des restes des forces des opérations extérieures de la France venues au secours de ces pays en vue d’écarter le danger qui les menaçait en leur temps. Cela ne nécessitait nullement ce grand bruit qui s’est fait autour de cette question ! A l’évidence, on pourrait projeter dès lors la déclaration prochaine sur les ondes du retrait de ces pays de la zone CFA et la création de leur monnaie. Ce qui passe à leurs yeux comme le remède miracle qui fera bondir leur économie et résorber la précarité nationale. Le Sénégal, les pays de l’AES et le Tchad ont encore le temps de réfléchir mûrement avant de se lancer dans cette nouvelle aventure.

 

Antoine MIARO

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